Propos liminaires de Stéphane Trifiletti, co-président, pour le groupe écologiste, solidaire & citoyen.
Propos liminaires de Stéphane Trifiletti, co-président, pour le groupe écologiste, solidaire & citoyen.
à Bordeaux, le 17 octobre 2022
Monsieur le président, cher·e·s collègues,
Nous souhaitons commencer cette plénière en rendant un hommage appuyé à Bruno Latour, disparu le 9 octobre dernier. Son œuvre scientifique, référence dans les milieux universitaires et ses réflexions sur la crise écologique devraient nous inspirer collectivement.
Il y a déjà 30 ans, il démontrait que « Nous n’avons jamais été modernes ». Que la prétendue modernité de notre société capitaliste ne souffre pas d’un problème d’épuisement tardif, mais d’un défaut constitutif.
Nous invitons notre assemblée à s’emparer de cette nouvelle grille de lecture du monde, si riche qu’elle est susceptible d’ancrer nos sociétés dans le Vivant, et d’organiser toute la vie politique autour de ses enjeux de survie de l’humanité.
Cette crise globale est là sous nos yeux, de manière systémique, après un été marqué par une longue sécheresse et de nombreux incendies. Ces événements extrêmes, catastrophiques, seront désormais la norme et non plus l’exception. Cet hiver s’annonce tout aussi difficile, l’envolée des prix de l’électricité et du gaz impactant toujours plus nos concitoyens.
L’urgence à agir semble désormais largement partagée dans notre hémicycle. Mais l’importance et la nature des transformations à mener est loin de faire consensus. Agir vite, agir fort, agir efficacement pour cranter un changement radical de modèle et de politique. Les mesures à prendre pour passer l’hiver sont en réalité les mêmes que celles qui doivent nous permettre de préserver une planète vivable, et de faire baisser durablement le poids de l’énergie dans les budgets des familles.
Deux ans après avoir décrié et moqué le “modèle Amish”, le gouvernement n’a plus que le mot « sobriété » à la bouche ; Au point de le confondre avec les pénuries et le rationnement. Dans une situation énergétique d’une immense fragilité, il ne semble pourtant être guidé que par l’idéologie de la consommation. En guise de politique de “sobriété”, il propose une politique de culpabilité et d’austérité qui fera de chaque individu, l’unique responsable de sa situation. Cette politique pèse une fois de plus sur les plus fragiles.
Arrêter son sèche-linge, mettre un col roulé ne suffira pas. Les changements individuels participent évidemment de l’effort collectif, mais celui-ci ne saurait être mené sans transformations profondes. Les plus gros consommateurs doivent réduire drastiquement leurs consommations : c’est une question de justice sociale et climatique. Le manque d’anticipation du gouvernement concernant la crise énergétique et les limites béantes du bouclier tarifaire actuel sont injustes. Les écologistes portent d’ailleurs au national la proposition d’accès universel à l’énergie reposant sur une tarification progressive bien plus équitable.
Injustices aussi pour nos collectivités territoriales, au moment même où le gouvernement impose, à nouveau, l’austérité via une nouvelle version du “Pacte de Cahors”, les “Normes de dépenses” ! : Quelles capacités d’action restera-t-il aux collectivités avec des dépenses de fonctionnement qui se réduisent comme peau de chagrin ? Rappelons que ces dépenses dites “de fonctionnement” servent en priorité à conduire nombre de politiques publiques concrètes et utiles pour tous.
Nous défendons une prise en charge par l’État de l’excès inhabituel des factures de nos collectivités face à l’envolée des prix, avec, en regard, une exigence pointant précisément des engagements dans la transition et la sobriété énergétique. L’indexation probablement très insuffisante de la Dotation Globale de Fonctionnement et du bouclier tarifaire pour notre Région sont très inquiétants: tout mécanisme de redressement des finances publiques restreignant les capacités d’actions des collectivités met de fait en grave péril les services publics locaux. Des services dont les plus fragiles ont un besoin impérieux, plus encore aujourd’hui.
Force de proposition dans cette assemblée pendant cette 1ère année de mandat, comme lors des mandats précédents, notre groupe a présenté plusieurs mesures qui seraient évidemment des atouts indéniables dans la période actuelle. Des outils pour réfléchir, infléchir et absorber les chocs. Des outils pour accélérer la transition et garantir son équité. Des outils que la Région aurait pu mobiliser depuis déjà des mois, si nos propositions n’avaient pas été systématiquement ajournées.
Depuis un an, nous avons ainsi proposé :
– Une Convention citoyenne régionale pour la transition écologique visant à accélérer la reconnexion démocratique : refusé ;
– Un plan massif pour la rénovation des dessertes fines et TER du quotidien : refusé ;
– Des engagements concrets contre l’évasion fiscale en Nouvelle- Aquitaine suite aux « Pandoras papers » : refusés ;
– De retirer la HVE de NéoTerra afin de respecter notre objectif de sortie des pesticides Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques en 2025 conformément à nos engagements NéoTerra : refusé ;
– Des amendements portant sur le Règlement d’intervention des aides aux entreprises pour conditionner la politique de performance industrielle à la réduction des gaz à effet de serre , en préservant la santé des personnes et des écosystèmes : refusé ;
– De nous doter d’indicateurs innovants de suivi de la feuille de route NéoTerra permettant de mesurer la consommation régionale de pesticides, nos émissions carbone, la fréquentation des transports en commun, la part du Bio dans la restauration collective, la production d’énergie renouvelable, les volumes de déchets produits… refusé!
Tous ces indicateurs nous manquent de fait maintenant au quotidien, et de façon criante pour mesurer et guider notre action régionale.
Ces quelques exemples font parfois terriblement échos à cette propension à combiner « greenwashing » et « imposture écologique » : nouvelles stratégies qui consistent à communiquer sur la nécessité d’une politique écologique systémique, tout en gardant en réalité un logiciel productiviste. Cette plénière, par bien des égards pourrait malheureusement nous le confirmer. Deux exemples simples à notre ordre du jour.
Le 1er concernant le passage en force par rapport à l’ouverture à la concurrence des TER. Malgré les inquiétudes des usagers, des syndicats, votre majorité régionale (en rupture totale d’ailleurs avec le PS national) tente d’imposer son choix d’ouverture à la concurrence, et ce, sans vote, puisque nous parlons des Orientations Budgétaires. L’ouverture à la concurrence serait pour les communistes ce qu’est GPSO pour les écologistes.
Une ligne rouge, un combat fondamental.
Jamais nous n’avons transigé sur nos combats historiques quand nous étions dans la majorité, nous espérons que chacun prendra ses responsabilités.
Le 2nd concernant l’eau et la restauration de la biodiversité, au moment où l’effondrement dramatique du Vivant s’amplifie :
Nous allons voter la Stratégie Régionale de la Biodiversité. C’est une belle démarche initiée lors du mandat précédent. Mais au global, les lignes budgétaires Biodiversité sont brutalisées comme l’est le Vivant qui s’effondre devant nous.
En même temps x2, la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne va bénéficier de 2,8 M d’€. Cette structure, bras armé de l’irrigation intensive et des bassines pour une infime minorité d’agrimanagers, est un véritable sous-marin d’une artificialisation-déconnexion des milieux. Cette compagnie, condamnée par la justice pour assèchement de rivière, épinglée par la chambre régionale des comptes, va bénéficier d’un énième renflouement : nous sommes bien loin des bonnes intentions affichées dans la stratégie biodiversité et NéoTerra. Nous butons sur une incapacité à porter le basculement indispensable nécessaire permettant de passer du référentiel extractiviste de l’eau, qui prévaut depuis l’ère industrielle, à une conception de l’eau comme «matrice»x2 du vivant, commun essentiel.
Vivant, transports, énergie, climat comme exemples patents : nous devons réduire et mieux partager. Nous devons sortir maintenant de l’imposture.
Au moment de rappeler notre fierté concernant le Nobel de physique du gascon Alain Aspect, récompensé pour ses découvertes sur «l’intrication quantique », phénomène où deux particules quantiques sont parfaitement corrélées, quelle que soit la distance qui les sépare ; nous vous proposons de vous en inspirer : justice sociale et justice climatique doivent être parfaitement corrélés, comme 2 particules quantiques.
Cette philosophie doit entrer en résonance avec les propositions du CESER, NéoTerra 2 devra s’articuler avec cette 2ème feuille de route que le CESER vous propose depuis 2019 et qu’il serait urgent, enfin, de saisir : Néo Sociétas. Le tout articulé avec un référentiel solide et précis d’éco-socio-éthico-conditionnalités au service de nos territoires.
Nous rappellerons également tout à l’heure les déséquilibres importants qui se matérialisent dans votre stratégie scientifique entre sciences dites dures et sciences humaines. Plus que jamais, il y a nécessité à mettre en place des actions plus ambitieuses en matière d’interactions entre sciences et citoyens, sciences et société, en s’appuyant aussi sur les associations d’éducation populaire.
Enfin, lors de cette plénière nous ferons de nouvelles propositions. Via les motions puisque c’est le seul espace, extrêmement réduit, que vous nous laissez.
Nous vous suggérons un grand plan de végétalisation dans nos lycées.
Nous appellerons également à renforcer fortement les études concernant les concentrations et les effets des pesticides. La situation sanitaire est dramatique dans certaines parties de la Nouvelle-Aquitaine, par exemple dans la Plaine d’Aunis.
M. le Président, cher·e·s collègues : réussir la bifurcation ou périr. Saisissez nos propositions maintenant pour réussir la bifurcation.
Le temps presse : l’écologie plus tard … c’est l’écologie trop tard.
Seul le prononcé fait foi.